La Cerisaie
Jouée jusqu'en juin à la Comédie Française, La Cerisaie de Tchekhov sur une mise en scène de Clément Hervieu-Léger cristallise les tiraillements des classes sociales à la fin d'une époque de l'histoire russe. Dernière pièce de Tchekhov et plus grande pièce du répertoire russe, La Cerisaie illustre le refus de Tchekhov de se plier à un genre.

La Cerisaie nous plonge dans une Russie en plein bouleversement, ou le servage* vient d'être aboli par le Tsar Alexandre II (1861) et à l'aube de la révolution de 1905. Cette pièce dépeint donc la classe aristocratique qui, malgré son refus, se retrouve confrontée à la nouvelle donne du pays.
*servage: système de dépendance sociale et économique où les paysans, appelés serfs, travaillaient pour un riche propriétaire et n'avaient quasiment pas de libertés (interdiction de quitter la terre du propriétaire sans l'accord de celui ci par exemple). Les paysans travaillaient cette terre, contre une protection ou le droit de rester sur le domaine.
Et pour représenter cette époque de grands changements, le dramaturge fait appel aux petites choses, " le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien" de Jankélévitch.
Après un long moment d'absence à Paris, la famille aristocratique russe de Lioubov revient dans son domaine familial. A cause des dettes accumulés, le domaine qui abrite une cerisaie centenaire risque d'être vendu. Pourtant, les habitudes, comme les souvenirs d'enfance d'une classe aristocratique que tout semblait jusque-là épargner, les ont rendus incapables de clairvoyance, et ce malgré les mises en garde du marchand Lopakhine, fils d'un ancien moujik (paysan russe) qui rachètera finalement la propriété aux enchères.
"J'aime le théâtre fait de souvenirs. Ceux de l'auteur. Les nôtres. J'aime ces pièces testamentaires, non pas parce qu'elles nous obligeraient à une lecture quasi biographique, mais parce qu'elles nous interdisent de faire l'économie de nous-mêmes"
Clément Hervieu-Léger (metteur en scène de La Cerisaie à la Comédie Française)
Tchekhov interroge la notion de genre. Bien qu'il nomme ses pièces "comédies", il est difficile de caractériser La Cerisaie de comédie, de tragédie ou de drame. En effet ce refus de classification est le reflet d'une ambition qu'il partage avec Molière (notamment dans le Misanthrope): Tchekhov aspire à un théâtre qui exprime la vérité avec naturel.
Ainsi Gorki, contemporain de Tchékhov, écrivait à celui ci en 1900 : « Sur ce sentier-là personne ne peut aller plus loin que vous, personne ne peut écrire aussi simplement sur d'aussi simples choses. […] Simple, c'est-à-dire vrai. »
La Cerisaie, dernière pièce écrite par Tchekhov, semble véritablement être son testament puisqu'il décède trois mois après. Il met donc tout son savoir de dramaturge, mais aussi de médecin dans cette pièce qui voit naître les prémices de la psychanalyse en Europe (XIXème siècle). Aussi, son grand-père était serf et sa maison d'enfance a été rachetée par un riche homme d'affaire afin d'être rasée. Il y met donc de son histoire personnelle, mais aussi de son rapport à l'Histoire: pour Tchekhov, l'histoire de l'humanité a une logique qui nous échappe; l'Histoire est une catastrophe que nous nous efforçons de vivre le mieux possible moralement.